Mise en demeure obligatoire, allongement des délais, trêve hivernale, autant de modification qui alourdissent la procédure en expulsion d’un locataire.
Ceci est le fruit d’une récente réforme menée par la Région de Bruxelles-Capitale.
Cette réforme est reprise dans une ordonnance du 22 juin 2023 (M.B., le 21 août 2023) laquelle consacre les principales modifications suivantes :
- L’exigence de proportionnalité des décisions en matière de logement
Le législateur bruxellois fixe au magistrat « une ligne de conduite » lorsque ce dernier sera amené à statuer sur une action en résolution d’un bail d’habitation (ou d’un bail commercial portant un immeuble dévolu, aussi, à l’habitation du locataire).
La décision du magistrat devra être proportionnée au regard de la gravité des manquements du locataire ou au regard de sa capacité à pouvoir apurer sa dette locative dans un délai raisonnable.
- La mise en demeure préalable
Dorénavant, pour expulser un locataire, ce dernier doit obligatoirement être préalablement mis en demeure.
A défaut, toute poursuite judiciaire serait déclarée nulle.
La mise en demeure requière un formalisme précis. Elle doit comprendre :
– l’identité, l’adresse, le numéro de téléphone et la qualité du bailleur ;
– une description et une justification claires des montants réclamés, en ce compris les dommages et intérêts et les intérêts moratoires réclamés ;
– l’indication qu’une procédure judiciaire ne pourra être enclenchée qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à dater de l’envoi de la mise en demeure.
- Le mode d’introduction de l’instance
Le législateur bruxellois prévoit que l’assignation judiciaire devra être initiée par requête contradictoire ou par citation.
Toutefois, dans cette dernière hypothèse, les frais de citation demeureront à charge du bailleur sous réserve d’exceptions : tel sera le cas lorsque le preneur n’est pas inscrit aux registres de la population ou lorsque la citation est légalement imposée.
A peine de nullité, le législateur bruxellois exige que la mise en demeure ainsi que sa preuve d’envoi soient jointes à l’acte introductif d’instance assorti de la mesure d’expulsion.
- Le délais de comparution
Le délai de comparution a été porté à 40 jours à compter du dépôt de la requête ou de la signification de l’exploit de citation si ces actes introductifs d’instance comprennent une demande d’expulsion.
- Le délai d’expulsion
Le législateur bruxellois prescrit qu’aucune expulsion d’un logement ne peut intervenir qu’endéans un délai d’un mois suivant la signification du jugement.
Néanmoins, des tempéraments ont été posés.
Le délai d’un mois pour mettre en œuvre la procédure d’expulsion ne sera pas d’application dans les cas repris ci-dessous :
– le logement a été abandonné ;
– l’accord des parties sur un délai réduit pour délaisser le logement ;
– la prolongation ou la réduction du délai par le juge après avoir mis en balance les intérêts des parties.
- Le moratoire hivernal
Le législateur bruxellois instaure un moratoire hivernal.
A l’aune de ce moratoire, aucune expulsion ne peut être diligentée entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante.
Ici encore, des tempéraments ont été prévus.
Une expulsion pourra intervenir durant la période de trêve hivernal dans les cas repris ci-dessous :
– le locataire dispose d’une solution de relogement ;
– le locataire a délaissé le logement ;
– l’état de salubrité et/ou de sécurité du logement justifie que son occupation ne puisse perdurer au-delà du délai légal ;
– le bailleur excipe d’une situation de force majeure lui imposant d’occuper le logement.
Pendant la période du moratoire, le locataire sera redevable d’une indemnité d’occupation dont le montant sera fixé par le juge.
A défaut de paiement de celle-ci par le locataire, le bailleur, empêché d’expulser et privé de revenus locatifs lors de cette trêve hivernale, pourra introduire sa créance d’indemnité auprès du Fonds budgétaire régional de solidarité.
Que pouvons-nous retirer des principales modifications précitées ?
Tout d’abord, le bailleur sera désormais confronté à un allongement du délai procédural pour obtenir l’expulsion de son locataire.
En prenant en considération le délai d’un mois à dater de l’envoi de l’indispensable mise en demeure couplé au délai de comparution, le bailleur ne pourra espérer postuler, au plus tôt, sa demande d’expulsion auprès du juge de paix compétent qu’après l’écoulement d’un délai de deux mois et demi.
Il s’agit d’un allongement non négligeable surtout si les arriérés locatifs sont importants et/ou si des dégâts locatifs sont raisonnablement à craindre.
A ces délais, s’ajoutent le délai légal d’expulsion fixé, pour rappel, à un mois et l’éventuelle application du moratoire hivernal pour la période du 1er novembre au 15 mars de l’année suivante.
Le bailleur soucieux de recouvrer la libre disposition de son logement devra dès lors anticiper son action résolutoire assortie d’une mesure d’expulsion aux fins d’éviter un maintien excessif de son locataire défaillant dans le logement loué.
Indubitablement, les modifications apportées par le législateur bruxellois aux procédures d’expulsions judiciaires froissent le droit de propriété des propriétaires-bailleurs, notamment, par l’instauration du moratoire hivernal.
A cet égard, soulignons que la constitutionnalité de ce moratoire a été remise récemment en cause par une décision judiciaire.
Dans son jugement du 13 septembre 2023, Monsieur le Juge de Paix du canton d’Uccle a considéré que :
« (…) En effet, l’article 159 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes lois, de sorte que le juge refusera d’appliquer une ordonnance non-conforme aux dispositions de la loi ou de la Constitution.
L’article 11 de la Constitution stipule que la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.
La section de législation du Conseil d’Etat, dans son avis sur le projet d’ordonnance insérant dans le Code bruxellois du Logement les règles de procédure applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du Fonds budgétaire de solidarité, a clairement énoncé
« Dans la mesure où il interdit temporairement l’expulsion d’un locataire qui ne remplit pas ses obligations, le régime en projet constitue une ingérence dans le droit de propriété du bailleur. Une telle ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans la mesure où le régime en projet rend temporairement impossible l’exécution d’un jugement d’expulsion, il implique également une restriction au droit d’accès au juge. En effet, ce droit comprend également le droit d’exécuter des décisions judiciaires définitives.
Force est de conclure que, dans la mesure où l’article 233duodecies en projet prévoit une interdiction d’expulsions au cours de la période comprise entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, le régime en projet ne ménage pas un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts du locataire d’un bien immeuble dont l’expulsion est suspendue et, d’autre part, les intérêts de propriétaire-bailleur, de sorte que cette mesure constitue une restriction excessive et au respect des biens du second ».
Et a poursuivi en ces termes :
« Le juge de Paix estime établi que l’article 233 duodecies C.B.L., en ne retenant que 3 cas spécifiques pour échapper au moratoire hivernal est discriminatoire.
(…)
En ne permettant pas d’expulsion entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, même dans le cas où certains contrats de bail ont correctement pris fin, conformément aux règles édictées par le C.B.L., ou suite à des accords transactionnels conclu entre les parties permettant l’expulsion, ou suite à un non-respect flagrant, récurrent et soutenu de son obligation de paiement de loyers, la non-conclusion d’une assurance couvrant sa responsabilité,…, le législateur Bruxellois rompt le juste équilibre entre les intérêts des parties concernées
Le juge de Paix estime, dans ces conditions, que, dans ce cas spécifique, il peut déroger au moratoire hivernal et permet l’expulsion durant cette période » (J.P. Uccle, jugement du 13 septembre 2023, R.G. : 23A1081).
Bien que l’application faite par le Juge de Paix de l’article 159 de la Constitution soit critiquable (une ordonnance n’étant pas un acte réglementaire susceptible d’être écarté…), il conviendra d’apprécier si cette décision restera isolée ou non dans la jurisprudence bruxelloise.