Dérogation au plan de secteur – La règle du comblement (article D.IV.9 du CoDT)

Est-il possible de construire son habitation en zone agricole ou en zone forestière au plan de secteur ?

Moyennant certaines conditions, le Code de Développement Territorial (CoDT) offre la faculté de le faire.

Il s’agira alors d’obtenir une dérogation au plan de secteur.

Cette dérogation pourra être consentie sur la base de l’article D.IV.9 du CoDT lequel consacre la règle dite du « comblement », soit la faculté de déroger au plan de secteur en vue d’ « autoriser, sous certaines conditions, dans une zone en principe non capable, des actes et travaux assujettis à permis d’urbanisme dans l’espace ouvert situé entre deux habitations existantes » (M. PAQUES et C. VERCHEVAL, Droit wallon de l’Urbanisme. Entre CWATUPE et CoDT, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 629 et s).

L’article D.IV.9 dudit Code est rédigé comme suit :

« A l’exclusion des zones naturelles, des zones de parcs et des périmètres de points de vue remarquable, un permis d’urbanisme ou un certificat d’urbanisme n°2 y relatif peut être octroyé dans une zone du plan de secteur qui n’est pas compatible avec l’objet de la demande pour autant que :
1° le terrain soit situé entre deux habitations construites (avant l’entrée en vigueur du plan de secteur) ou entre une habitation construite avant l’entrée en vigueur du plan de secteur et une habitation construite en zone d’habitat ou en zone d’habitat à caractère rural et distantes l’une de l’autre de 100 mètres maximum ;
2° ce terrain et ces habitations soient situés à front et du même côté d’une voirie publique suffisamment équipée en eau, électricité et égouttage, pourvue d’un revêtement solide et d’une largeur suffisante, compte tenu de la situation des lieux ;
3° les constructions, transformations, agrandissements ou reconstructions ne compromettent pas l’aménagement de la zone.
La distance de 100 mètres visée à l’alinéa 1er, 1°, se calcule indépendamment de la présence, dans le terrain concerné, d’un élément naturel ou artificiel tel un cours d’eau ou une voirie.
Toutefois, aucun permis ou certificat d’urbanisme n°2 ne peut être délivré pour des terrains situés à front de voiries publiques divisées en quatre bandes de circulation au moins ».

Parmi, les conditions à devoir respecter, il faut que le terrain concerné soit situé entre deux « habitations construites » avant l’entrée en vigueur du plan de secteur entre une habitation construite avant l’entrée en vigueur du plan de secteur et une habitation construite en zone d’habitat ou en zone d’habitat à caractère rural.

Dans un arrêt n°231.995 du 27 juillet 2015, le Conseil d’Etat a considéré que :

« (…) conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, la règle du comblement telle que prescrite par l’article 112 du Code ne peut jouer que pour autant que les bâtiments pris comme références soient affectés à de l’habitat ; que tel n’est absolument pas le cas pour le moulin situé sur la parcelle 129a ; que ce bâtiment appartient à la commune ; que, si le moulin a abrité jusqu’il y a peu le syndicat d’initiative, il est réservé actuellement à l’accueil d’expositions temporaires et autres manifestations culturelles; que les services communaux ont dûment confirmé que le moulin n’avait jamais été affecté à une fonction d’habitat ;
Considérant, par ailleurs, que l’autorité a procédé à une exacte interprétation de la notion d' »habitations » visée à l’article 112 de CWATUPE en refusant de reconnaître comme tel le moulin d’Arenberg, dont il n’est pas contesté que ce bâtiment n’est plus affecté à de l’habitat depuis plus de quarante ans; que le logement qui se situerait au-dessus de la bibliothèque communale située dans le grand moulin et qui est invoqué par le requérant pour soutenir que le moulin a toujours été affecté à l’habitat, se situe dans un bâtiment sis à l’angle de la rue Julien Colson et de la ruelle des Tonneliers, soit de l’autre côté de la Senne, à l’opposé du petit moulin qui est le bâtiment de référence, et doit être distingué de l’ensemble patrimonial dont il fait partie ».

Dans cet arrêt, la partie requérante soutenait que l’auteur de l’acte entrepris n’avait pas correctement appliqué la règle dite du comblement en refusant de prendre en considération un « ancien moulin » construit avant 1850 comme l’une des deux habitations de référence.

Dans son arrêt, Votre Conseil a donné raison à la partie adverse en estimant que le moulin dont question ne pouvait être considéré comme une habitation au sens de l’article 112 du CWATUP (actuel article D.IV.9 du CoDT) dès lors qu’il n’était pas affecté à de l’habitation.

Dans un arrêt récent n°252.004 du 28 octobre 2021, le Conseil d’Etat a estimé que :

« (…) Si l’habitation visée à l’article D.IV.9 du CoDT peut être ancienne, voire même inhabitée depuis un certain temps ou en mauvais état de conservation, il appartient toutefois à l’autorité qui entend faire un usage de ce mécanisme dérogatoire de s’assurer que la construction qu’il prend comme référence s’apparente encore à une habitation au sens usuel du terme, une ruine ne pouvant pas être considérée comme une habitation de référence pour le jeu de ce mécanisme dérogatoire d’interprétation restrictive ».

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat considère donc les « habitations construites » entre lesquelles le projet doit prendre place doivent « encore s’apparenter à une habitation au sens usuel du terme », à savoir : « action d’habiter, de séjourner d’une manière durable dans une maison, un immeuble » (LAROUSSE, v° « Habitation », https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/habitation/38778).

Il est possible de s’interroger sur l’interprétation retenue par le Conseil d’Etat.

En effet, la question centrale est celle de savoir si la destination d’un bâtiment est tributaire de son état de conservation.

A notre estime, il convient de répondre par la négative.

En effet, la destination d’un bien ne dépend pas de l’état rénové ou non de ce dernier, mais dépend de la fonction à laquelle le bien doit être employé selon la situation de droit qui lui est reconnue.

Ceci signifie que la destination d’un bâtiment subsiste aussi longtemps que le bâtiment existe, peu importe qu’il soit en ruine ou non.

Le simple fait qu’une habitation soit délabrée, inoccupée, voire en état de ruine n’a aucune influence sur sa destination dans le sens juridique retenu en droit de l’urbanisme.

Par ailleurs, ce qui précède fait également écho à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat au sujet de l’application d’un autre mécanisme dérogatoire prévu à l’article D.IV.6 du CoDT qui permet, moyennant certaines conditions, de transformer, agrandir ou reconstruire un « bâtiment existant » (en dérogation au plan de secteur).

Dans ce cadre, le Conseil d’Etat considère notamment qu’est un « bâtiment existant », les « vestiges d’un chalet » détruits par un incendie (C.E., arrêt n°198.070 du 20 novembre 2009).

A notre estime, par analogie, une habitation en ruine doit donc être considérée comme une habitation existante.

En outre, il est piquant de constater que, dans cet arrêt, malgré le fait que le chalet dont question ait été détruit par les flammes, le Conseil d’Etat a estimé qu’il pouvait malgré tout bénéficier du mécanisme dérogatoire précité pour être reconstruit.

Ceci signifie que le Conseil d’Etat a considéré que, nonobstant cette destruction, l’immeuble concerné avait conservé sa destination originaire de chalet (et donc d’habitation).

A défaut, comment aurait-il pu être décidé de permettre la reconstruction de ce bâtiment avec pour destination un logement ?

Nous pensons donc humblement que l’article D.IV.9 du CoDT permet la construction d’une habitation, en dérogation au plan de secteur, entre deux habitations construites, en ruine ou non, séparée l’une de l’autre de maximum 100 mètres (et, cela va de soi, moyennant le respect des autres conditions énoncées par ladite conditions).

Toutefois, pour l’heure, la jurisprudence du Conseil d’Etat étant ce qu’elle est, nous ne pouvons que recommander la plus grande prudence.