La nullité du contrat passé avec un entrepreneur : le défaut d’accès à la profession

Un entrepreneur qui n’a pas accès à la profession risque de voir son contrat d’entreprise être déclaré nul.

Pour exercer dans le domaine de la construction, un entrepreneur doit avoir un accès à la profession qui peut s’apprécier comme formant une garantie de ses compétences.

Un entrepreneur en construction doit donc exciper des habilitations requises dès la conclusion du contrat d’entreprise. En effet, l’obtention de ces habilitations durant l’exécution des travaux ne peut pallier au défaut d’accès à la profession (Cass, arrêt du 13 janvier 2012, Pas., 2012, p. 115).

A ce propos, dans son arrêt du 27 septembre 2018, la Cour de cassation a dit pour droit qu’ :

« est nul le contrat relatif à l’exécution de travaux relevant des activités professionnelles visées à l’arrêté royal du 29 juillet 2007 relatif à la capacité professionnelle pour l’exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l’électrotechnique, ainsi que de l’entreprise générale, conclu par un entrepreneur qui ne prouve pas qu’à la date de la conclusion du contrat, il disposait des compétences requises pour l’exercice desdites activités professionnelles » (Cass., arrêt du 27 septembre 2018, Bruxelles, Larcier, J.T., 2019, p. 528).µ

Par référence à cet arrêt, l’entrepreneur doit donc être titulaire de l’accès à la profession au plus tard au moment de la conclusion du contrat d’entreprise sous peine d’entraîner la nullité absolue dudit contrat, la réglementation de l’accès à la profession des entrepreneurs étant considérée comme relevant de l’ordre public par une grande majorité de la doctrine.

Néanmoins, la validité du contrat ne sera pas remise en cause si l’entrepreneur, qui ne dispose pas de l’accès à la profession pour l’ensemble des prestations de services commandées, recourt à un sous-traitant bénéficiant des titres requis pour leur accomplissement.

A ce sujet, dans son arrêt du 13 janvier 2012, la Cour de cassation a décidé qu’ :

« un contrat conclu avec un entrepreneur général ne disposant pas de l’accès à la profession pour tout ou partie des travaux visés au contrat, mais ne s’engageant pas à effectuer lui-même ces travaux-là et les confiant à des sous-traitants disposant des attestations requises, ne viole pas les règles relatives à l’accès à la profession » (Cass, arrêt du 13 janvier 2012, www.juportal.be).

Ceci étant dit, comme il ressort de l’arrêt précité, la convention d’entreprise portant sur des actes et travaux pour lesquels l’entrepreneur ne possède pas des accès à la profession est frappé de nullité absolue pour contrariété à l’ordre public au regard de l’article 2 du nouveau Code civil.

L’annulation de la convention d’entreprise opère avec effet rétroactif : les parties contractantes – le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur – seront replacées fictivement dans la situation qui était la leur au moment de la conclusion de la convention d’entreprise impliquant, corollairement, la restitution des prestations déjà accomplies en exécution de la convention annulée (Cass, arrêt du 21 mai 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1712).

Les incidences concrètes de l’annulation d’une convention d’entreprise ont été circonscrites par la Cour d’appel de Liège, dans son arrêt du 4 mai 2018, comme suit :

« Lorsqu’un contrat d’entreprise est annulé pour défaut d’accès à la profession, les restitutions réciproques constituent généralement le remboursement par l’entrepreneur des acomptes versés par le maître de l’ouvrage, d’une part, et la restitution par équivalent par le maître de l’ouvrage de la valeur des travaux réalisés, d’autre part, ces montants à restituer pouvant en outre être compensés.
Pour ce qui concerne la restitution par équivalent pour les travaux réalisés, les principes de l’enrichissement sans cause s’appliquent :
– l’enrichissement correspond à la valeur normale des travaux selon le prix du marché, sans qu’il puisse excéder le prix des travaux sur la base du contrat. Les vices et malfaçons affectant les travaux diminuent à due concurrence l’enrichissement qu’en retire le maître de l’ouvrage.
– l’appauvrissement de l’entrepreneur, c’est la valeur de ses prestations, dont il y a lieu de déduire le bénéfice de l’entrepreneur » (Liège, arrêt du 4 mai 2018, J.L.M.B., 2022/4, p. 171).

Le juge excipe, toutefois, d’un large pouvoir d’appréciation pour modérer les effets de la répétition des prestations accomplies.

Ce pouvoir de modération peut être exercé par l’application de deux adages :

1. « Nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans ».
En vertu de cet adage, personne ne peut se prévaloir en justice d’une convention contraire à l’ordre public pour en demander l’exécution en nature ou par équivalent (P. VAN OMMESLAGUE, Droit des obligations, Bruxelles, Larcier, Tome II, Volume 1 – Sources des obligations -, 2013, p. 382).

2. « In pari causa turpitudinis cessat repetitio ».
En vertu de cet adage, le juge peut déroger totalement ou partiellement à l’obligation de restitution réciproque découlant de l’annulation d’une convention (P. VAN OMMESLAGUE, Droit des obligations, Bruxelles, Larcier, Tome II, Volume 1 – Sources des obligations -, 2013, p. 387).

En somme, le juge conserve, donc, un pouvoir d’appréciation pouvant l’amener à refuser tout ou partie des restitutions aux deux cocontractants ou à l’un d’eux si l’ordre social exige qu’ils soient sanctionnés ou que l’un d’eux le soit plus sévèrement.

En conclusion, la convention d’entreprise conclue par un entrepreneur qui ne satisfait pas à la réglementation fédérale relative à l’accès à la profession est frappée de nullité absolue.

Cette sanction entraîne la restitution réciproque des prestations reçues en vertu de la convention d’entreprise.

Cette restitution oblige les parties contractantes à devoir procéder à un compte de restitution lequel requiert, bien souvent, l’établissement complexe d’une expertise technique et comptable du chantier concerné.

Aux fins d’éviter ces conséquences juridiques, préalablement à la conclusion de toute convention d’entreprise tant le maître de l’ouvrage que l’entrepreneur devront veiller à s’assurer que les actes et travaux envisagés sont couverts par les autorisations légalement requises.

A cet égard, il échet de préciser que la consultation du site internet de la Banque Carrefour des entreprises ne constitue pas l’unique moyen probatoire pour déterminer si une entreprise dispose ou non d’un accès à la profession.

Il en va d’autant plus que ce site n’est pas toujours parfaitement actualisé : la mention de certaines compétences professionnelles et/ou autorisations pourrait donc ne pas être reportée alors même que l’entrepreneur en serait titulaire.

La vigilance est donc de mise que ce soit pour le maître de l’ouvrage ou pour l’entrepreneur aux fins de mener sereinement le projet de construction convenu.

Pour aller plus loin, la réglementation fédérale de l’accès à la profession des entrepreneurs est essentiellement balisée par deux instruments juridiques :

  • la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante (M.B., le 21 février 1998) ;
  • l’arrêté royal du 29 janvier 2007 relatif à la capacité professionnelle pour l’exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l’électrotechnique, ainsi que de l’entreprise générale (M.B., le 27 février 2007).

La loi-programme précitée impose à toute petite et moyenne entreprise, exerçant en tant que personne physique ou personne morale une activité exigeant une inscription au registre du commerce et de l’artisanat (lire, « la Banque Carrefour des Entreprises »), de disposer des « connaissances de gestion de base » et des « compétences professionnelles ».

Ces « connaissances de gestion de base » et ces « compétences professionnelles » sont prouvées par :

  • la délivrance de titres ou diplômes mentionnés par ledit arrêté ;
  • la délivrance de titres non repris par ledit arrêté après vérification, toutefois, de la conformité du programme d’étude avec le programme des capacités professionnelles requises par le Ministre ayant les classes moyennes dans ses attributions ;
  • la délivrance d’une attestation d’exercice d’activités et de formation reçue, relâchée par un autre Etat membre de l’Union européenne ;
  • une pratique professionnelle de 3 ans durant les 15 dernières années exercée à temps plein soit comme travailleur qualifié, soit comme chef d’entreprise indépendant, soit comme dirigeant d’entreprise (articles 7 et 8 de l’arrêté royal du 21 octobre 1998 portant exécution du Chapitre Ier du Titre II de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante).

L’article 9 de la loi-programme sus-décrite instaure, aussi, une présomption réfragable de ce que l’inscription d’une entreprise commerciale ou artisanale à la Banque Carrefour des entreprises constitue la preuve de ce qu’il a été satisfait aux exigences en matière de capacités entrepreneuriales.

L’arrêté-royal précité détaille les « capacités entrepreneuriales » requises pour l’exercice de diverses professions de construction.
Ces professions concernent :

« 1° les activités suivantes pour autant qu’elles aient un rapport direct à la construction, la réparation ou la démolition d’un bâtiment ou au placement d’un bien meuble dans un immeuble de manière telle que ce bien meuble devienne immeuble par incorporation :
a. les activités du gros œuvre, notamment les travaux de maçonnerie, de béton et de démolition ;
b. les activités du plafonnage, du cimentage et de la pose de chapes ;
c. les activités du carrelage, du marbre et de la pierre naturelle ;
d. les activités de la toiture et de l’étanchéité ;
e. les activités de la menuiserie et de la vitrerie ;
f. les activités de la finition, notamment des travaux de peinture, de tapisserie et de placement au sol des couvertures souples ;
g. les activités de l’installation chauffage central, de climatisation, du gaz et du sanitaire ;
2° les activités de l’électrotechnique ;
3° les activités de l’entreprise générale ».

Les « capacités entrepreneuriales », pour chacune des activités sus-énoncées, sont prouvées de manière analogue aux modalités probatoires prévalant pour les « connaissances de gestion de base » et des « compétences professionnelles », à savoir, notamment, par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle.

Cette réglementation fédérale ne vise que les entreprises de construction dont le siège social est établi sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Région wallonne.

La Région flamande a abrogé, en effet, ladite réglementation relative à l’accès à la profession des activités d’entreprise de construction, l’abrogation étant en vigueur le 1er janvier 2019.