Point sur le loyer abusif, le loyer de référence et la Commission paritaire locative

En application de l’ordonnance bruxelloise du 28 octobre 2021 visant à instaurer une commission paritaire locative et à lutter contre les loyers abusifs (M.B., le 22 novembre 2021), les baux d’habitation, au sens du Code bruxellois de Logement, devront contenir le loyer de référence du bien immeuble loué ou l’intervalle de loyers autour du loyer de référence de ce bien tel que repris dans la grille indicative des loyers.

Cette ordonnance, entrée en vigueur, le 2 décembre 2021, a mis sur pied une commission paritaire locative laquelle a pour compétence de rendre des avis sur la justesse du loyer pour tout bail d’habitation en Région bruxelloise à l’exclusion de ceux conclus par un opérateur immobilier public ou une agence immobilière sociale.

Le recours à la commission paritaire locative est gratuit.

Les avis motivés de la commission paritaire locative sont non contraignants.

Cette commission peut être saisie par les parties contractantes (bailleur – preneur et/ou leurs représentants respectifs), par toute personne intéressée ainsi que par le juge saisi d’une demande tendant à obtenir un avis sur la justesse du loyer en vertu des articles 224/1, 240 et 241 du Code bruxellois du Logement.

La présente contribution se limitera à analyser les casuistiques légales visées par les articles 224/1 et 240 du Code bruxellois du Logement.

L’article 224/1 fait écho à la demande de révision pour loyer abusif.

L’article 240 fait écho à l’action en révision du loyer.

La demande de révision pour loyer abusif

Au sens de l’article 224 du Code bruxellois du Logement, un loyer est présumé abusif lorsqu’il :

  1. dépasse de 20 pour cent son loyer de référence.
  2. n’excède pas de 20 pour cent son loyer de référence mais que ce loyer accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement.

Il s’agit d’une présomption qui peut être renversée lorsqu’il est établi que la différence entre le loyer pratiqué et le loyer de référence est justifiée par des éléments de confort substantiels intrinsèques au logement[1] ou à son environnement[2] de même que si les défauts de qualité substantiels (à savoir des caractéristiques de qualité sensiblement inférieures à la moyenne) intrinsèques au logement[3] ou à son environnement[4] sont imputables au preneur.

Il échet de préciser que les éléments de confort substantiels ainsi que les défauts de qualité substantiels doivent concerner des caractéristiques intrinsèques au logement ou son environnement qui ne sont pas déjà explicitement pris en compte dans le cadre de l’estimation du loyer de référence fournie par la grille indicative des loyers.

Le loyer de référence, quant à lui, se définit comme le loyer médian repris dans la grille indicative de référence des loyers instituée par l’arrêté du 19 octobre 2017 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale instaurant une grille indicative de référence des loyers (https://loyers.brussels).

Aux termes de l’article 224/1 du Code bruxellois du Logement, le preneur ne pourra introduire une demande de révision pour loyer abusif que trois mois après la prise de cours du contrat de bail relativement aux baux d’habitation régis par l’article 237 du Code bruxellois du Logement ; ce délai est porté à deux mois relativement aux baux d’habitation de courte durée supérieure à un an.

Dès son introduction, tant le preneur que le bailleur pourront saisir la commission paritaire locative pour obtenir un avis sur la demande de révision de loyer.

Cependant, par dérogation aux délais susvisés, la saisine de la commission paritaire locative ou de la Justice de Paix pourra intervenir à tout moment si le bailleur du bien loué a précédemment été contraint de réviser un loyer abusif pour ce même bien.

La commission rend son avis sur la justesse du loyer dans les deux mois à compter de l’introduction de la demande de révision pour loyer abusif comprenant, le cas échéant, une proposition de loyer révisé.

En telle hypothèse, une conciliation, strictement limitée au montant du loyer, est offerte aux parties contractantes.

Sauf accord contraire des parties contractantes, le loyer révisé tel que proposé par la commission paritaire locative rétroagira à dater du premier jour du mois qui suit la date de saisine de la commission pré-nommée.

A défaut d’accord, le juge saisi d’une demande de révision pour loyer abusif peut solliciter de recevoir l’avis rendu par la commission paritaire locative ou demander un avis sur la justesse du loyer.

En telle occurrence, le loyer révisé rétroagira au plus tôt 4 mois avant la date du dépôt de l’acte introductif d’instance ; la rétroactivité peut remonter au premier mois du contrat de bail si le bailleur du bien loué a déjà été amené à devoir réviser un loyer abusif concernant le bien loué.

La demande de révision du loyer

Sur pied de l’article 240 du Code bruxellois du Logement, les parties contractantes peuvent convenir de la révision du loyer entre le neuvième mois et le sixième mois précédant l’expiration de chaque triennat.

Relativement à cette action en révision du loyer, tant le preneur que le bailleur peuvent saisir la commission paritaire locative en vue d’obtenir un avis sur la justesse du loyer.

La demande devra être intentée entre le sixième et le troisième mois précédant l’expiration du triennat en cours.

Dans l’éventualité où cette commission rendrait un avis concluant à la révision du loyer, elle propose aux parties contractantes une conciliation limitée au montant du loyer.

Faute d’accord, le juge appelé à connaître d’une action en révision du loyer pourra accorder la révision du loyer s’il est établi que par le fait de circonstances nouvelles, le loyer de référence du bien loué est supérieur de 20 pour cent au moins au loyer exigible au moment de l’introduction de l’action et que le bien loué n’accuse pas des défauts de qualité substantiels qui justifient cette différence.

Dans l’affirmative, le juge pourra accorder une augmentation de loyer au bailleur qui établit que le loyer de référence du bien loué est supérieur de 10 pour cent au moins au loyer exigible lors de l’introduction de l’action, en raison de travaux effectués à ses frais dans le bien loué, à l’exception des travaux qui ont été nécessaires pour sa mise en location résultant de l’échéance d’un précédent contrat de bail.

Le juge excipera de la faculté de saisir la commission paritaire locative pour avis et statuera en équité.

Le loyer révisé produira ses effets à compter du premier jour du triennat suivant, l’ancien loyer se maintiendra provisoirement jusqu’au prononcé de la décision définitive.

Il convient de souligner qu’au moment de la rédaction de la présente contribution les articles 224/1 et 240 « nouveau » du Code bruxellois du Logement ne sont pas encore entrés en vigueur.

De par l’ordonnance susmentionnée, la Région de Bruxelles-Capitale entend sanctionner l’imposition d’un loyer disproportionné au regard des qualités d’habitabilité et de confort des biens mis en location sur son territoire assurant ainsi aux preneurs un accès à des logements à loyer raisonnable au sein d’un marché locatif caractérisé par une pénurie de logements décents et abordables.

L’instauration de cette commission paritaire locative soulève diverses interrogations ayant trait, entre autres, à l’ingérence engendrée au principe de la convention-loi déduit de l’article 1134 du Code civil ainsi qu’à la notion de « justesse du loyer » mise en parallèle avec les critères retenus par la grille indicative de référence des loyers.

Dans la mesure où la commission paritaire locative ne procédera aucunement à des visites domiciliaires, son expertise demeurera purement théorique tandis que ses avis, certes non contraignants, sont censés éclairer les parties contractantes et les magistrats sur le caractère abusif et rationnel du loyer.

Par ailleurs, la capacité de tenter de conciliation les parties contractantes quant au montant juste et raisonnable du loyer est une prérogative relevant présentement des Juridictions cantonales lesquelles peuvent, en vertu de la théorie de l’abus de droit, sanctionner les montants de loyers inappropriés.

A ces égards, la plus-value de cette commission laisse ainsi perplexe.

[1] Une villa quatre façade, une maison de maître, une architecture remarquable ou prestigieuse, une cuisine standing, un parquet en bois massif, une cheminée, une installation domotique constituent, à titre exemplatif, des éléments de confort substantiels.

[2] Une abondance d’espaces verts, une quiétude singulière, une vue remarquable constituent, à titre exemplatif, un environnement immédiat qualitatif.

[3] L’absence de compteur électrique individuel, l’absence de pièce privative réservée au sanitaire, l’absence d’équipements de cuisine, l’absence de parlophone constituent, à titre exemplatif, des défauts de qualité substantiels liés au logement.

[4] La pollution sonore considérable, des odeurs nauséabondes fréquentes ou permanentes constituent, à titre exemplatif, un environnement immédiat peu qualitatif.