LES TROUBLES ANORMAUX DE VOISINAGE

Les troubles de voisinage sont consacrés dans le Livre 3 du Code civil.

Toute activité ou toute abstention humaine exercée sur un fonds ou depuis un immeuble peut engendrer des incommodités envers le voisinage : l’utilisation d’un instrument de musique, le chant matinal d’un coq, le bruit émis par une débroussailleuse, la sollicitation du passage sur le terrain du voisin pour entretenir une haie, la présence d’une végétation dense causant une perte d’ensoleillement d’une habitation ou de jouissance d’une terrasse… illustrent, de par leur transversalité, ces incommodités.

Ces activités et/ou abstentions constituent pourtant des inconvénients normaux de voisinage ; leur excessivité, toutefois, peut conduire à une anormalité sanctionnable par la mobilisation de la théorie des troubles de voisinage.

Cette théorie essentiellement prétorienne s’est vu attribuer récemment une consécration légale par l’instauration de la loi du 4 février 2020 portant le livre 3 « Les biens » du Code civil (M.B., le 17 mars 2020).

La présente contribution tend à appréhender succinctement les aspects saillants de cette consécration.

A cette fin, seront abordées : la nouvelle définition légale des troubles anormaux de voisinage de même que les conditions d’application retenues (point A), l’éventail des mesures visant au rétablissement de l’équilibre entre les propriétés voisines (point B), l’action préventive de ces troubles (point C) et la juridiction habilitée à connaître desdits troubles.

A. Définition des troubles de voisinage

L’article 3.101. §1er du nouveau Code civil stipule que :

« Les propriétaires voisins ont chacun droit à l’usage et à la jouissance de leur bien immeuble.
Dans l’exercice de l’usage et de la jouissance, chacun d’eux respecte l’équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux de voisinage et qui lui est imputable.
Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, tels le moment, la fréquence et l’intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d’où le trouble causé provient
».

Par référence à cette disposition, trois conditions spécifiques sont requises pour que la responsabilité objective (responsabilité sans faute) fondée sur les troubles anormaux de voisinage sortisse ses effets :

– un déséquilibre ;
– un trouble (une action, une omission ou un fait) excessif occasionné au voisin ;
– le trouble doit être imputable à la personne dont la responsabilité est mise en cause.

1° Le déséquilibre

La théorie des troubles anormaux de voisinage implique un déséquilibre entre les droits d’usage et de jouissance respectifs de deux ou plusieurs voisins sur leur bien immeuble.

La définition de ce que doit être l’équilibre dans l’usage et/ou la jouissance des fonds et celle de son éventuelle rupture sont des questions de fait relevant du souverain pouvoir d’appréciation du juge du fond.

Le magistrat qui sera appelé à trancher un litige en matière de troubles de voisinage devra nécessairement constater le caractère anormal du trouble et la rupture de l’équilibre entre les fonds voisins.

2° L’excessivité du trouble

L’excessivité du trouble nécessite un examen « de toutes les circonstances de l’espèce ». A cette fin, une liste non exhaustive de critères a été énoncée au sein de la disposition précitée.

Les notions de « préoccupation » et de « destination publique » du bien immeuble renvoient, quant à elles, aux désordres émanant des pouvoirs publics lesquels sont aussi astreints à cette théorie des troubles anormaux de voisinage.

Leur responsabilité peut ainsi être recherchée à l’aune de cette théorie.

3° L’imputabilité du trouble

Le fait générateur doit être imputable à la personne dont la responsabilité est mise en cause.

Autrement dit, l’action, l’omission ou le fait perturbateur doit être imputé à une personne détentrice d’un droit réel ou d’un droit personnel sur le bien immeuble.

Un preneur, titulaire d’un attribut du droit de propriété (à savoir l’usage du bien loué), peut se prévaloir de la théorie des troubles anormaux de voisinage ou être attrait devant les Cours et tribunaux sur pied de cette théorie.

B. Les mesures rétablissant le déséquilibre entre les propriétés voisines

Les mesures adéquates aux fins de rétablir la rupture d’équilibre consistent, suivant le prescrit de l’article 3.101. § 2 du nouveau Code civil, en :

– une indemnité pécuniaire destinée à compenser le trouble excessif subi
– une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l’immeuble troublé pour ramener le trouble à un niveau normal
– l’interdiction du trouble rompant l’équilibre ou la prise de mesures pour ramener le trouble à un niveau normal pour autant qu’un nouveau déséquilibre ne soit pas créé et que l’usage et la jouissance normaux de l’immeuble ne soient pas exclus.

Aucune hiérarchie n’existe entre ces mesures lesquelles peuvent être prises séparément ou conjointement.

Les mesures à caractère financier entendent compenser l’excessivité des troubles de voisinage occasionnés et résultant des inconvénients normaux de voisinage ; cependant, ces dernières ne visent pas à réparer intégralement le préjudice causé à l’instar d’une action reposant sur la responsabilité civile extracontractuelle.

En tout état de cause, la détermination de la mesure adéquate sera éminemment tributaire de la casuistique portée à la connaissance des Cours et Tribunaux, l’interdiction radicale de l’événement perturbateur étant conçue comme l’ultime remède.

C. L’action en prévention des troubles anormaux de voisinage

Une action préventive des troubles anormaux de voisinage a éclos suite à l’adoption de la loi du 4 février 2020 précitée.

Son assise légale gît au sein de l’article 3.102. du nouveau Code civil.

Cet article est libellé comme suit :

« Si un bien immeuble occasionne des risques graves et manifestes en matière de sécurité, de santé ou de pollution à l’égard d’un bien immeuble voisin, rompant ainsi l’équilibre entre les biens immeubles, le propriétaire ou l’occupant de ce bien immeuble voisin peut demander en justice que des mesures préventives soient prises afin d’empêcher que le risque se réalise ».

En telles circonstances, le propriétaire ou l’occupant d’un bien immeuble voisin peut agir avant la survenance d’un trouble dépassant manifestement les bonnes relations de voisinage.

Ladite action tend ainsi à anticiper la réalisation du risque redouté en permettant l’introduction d’une procédure judiciaire aux fins de solliciter la prise de mesures préventives.

L’affaissement d’une toiture d’un bâtiment menaçant ruine, la fragilité d’un mur mitoyen mettant en péril sa stabilité peuvent rencontrer cet objectif.

Néanmoins, cette action préventive, innovation marquante en matière de troubles anormaux de voisinage, ne pourra être mue que par la réunion des conditions strictement imposées par l’article 3.102. du nouveau Code civil (le risque doit être grave, manifeste, portant sur des questions de sécurité, de santé, de pollution…), sa mise en œuvre risque d’être particulièrement limitée.

D. Compétence matérielle des Cours et tribunaux

Les troubles anormaux de voisinage relèvent, désormais, quel que soit le montant de la demande, de la compétence de juge de paix conformément à l’article 591, 2ter du Code judiciaire.

Les motivations sous-tendant les contentieux en matière de troubles de voisinage peuvent être variées ; ces contentieux sont, par ailleurs, davantage alimentés par une urbanisation croissante favorisant la promiscuité entre les voisins.

L’introduction d’une procédure en justice aux fins d’obtenir la cessation du trouble excessif subi doit constituer l’ultime alternative ; la préservation des bonnes relations de voisinage doit pousser les voisins concernés à tenter de solutionner amiablement les nœuds de tensions attisant leur conflit.

La bonne entente entre voisins est un bien-être à devoir cultiver et pérenniser autant que faire se peut car nul ne peut connaître d’emblée la durée de son engagement en sa relation de voisinage.