Le recours en annulation au Conseil d’Etat contre un permis d’urbanisme

Plantons le décor : un permis d’urbanisme a été délivré pour la réalisation d’une construction à proximité de chez vous. Ce projet vous cause préjudice et vous voulez le contester. Pour ce faire, vous devez introduire un recours en annulation auprès du Conseil d’Etat à l’encontre dudit permis d’urbanisme.

Le délai pour introduire le recours en annulation est de soixante jours à compter de la réalisation de la formalité particulière de publicité (notification ou affichage) qui entoure la délivrance du permis d’urbanisme ou, à défaut de mesure de publicité, à compter de sa prise de connaissance effective.

A ce sujet, la jurisprudence du Conseil d’Etat est fixée comme suit :

« S’agissant d’un acte qui ne doit pas être notifié aux requérants, le délai de recours est en principe de soixante jours à partir de la prise de connaissance de l’existence du permis d’urbanisme. En une telle hypothèse, un requérant peut interrompre le délai en cherchant activement, dans un délai raisonnable, à prendre connaissance du contenu du permis à l’administration communale. Le délai de soixante jours commence alors à courir le jour où il a pu exercer son droit d’en prendre connaissance ou le jour où on lui a refusé ce droit. Le délai de recours commence donc à courir à partir du moment où le voisin, tiers à la procédure de délivrance du permis, peut, en étant normalement diligent et prudent, acquérir du permis une connaissance suffisamment claire, suffisante et certaine » (C.E., arrêt n°246.358 du 10 décembre 2019, NEUFCOEUR).

Bien entendu, dans ce genre de situation, il convient d’être particulièrement diligent et de ne pas perdre de temps à prendre connaissance du contenu du permis d’urbanisme au service de l’urbanisme de votre commune (sur la question de l’accès à l’information et à la possibilité de prendre une copie de la demande de permis et de ses plans, je vous renvoie à un précédent article du Memento que vous pouvez trouver ici).

En outre, il se dégage de plusieurs arrêts du Conseil d’Etat que l’absence d’obtention d’une copie du permis d’urbanisme litigieux n’est pas de nature à empêcher l’écoulement du délai de recours.
A l’occasion d’un arrêt du 8 novembre 2019, la XVème Chambre du Conseil d’Etat a considéré que :

« (…) Dès lors qu’il est avéré que le requérant avait, à une date déterminée une connaissance suffisante et certaine de l’existence et de la portée de l’acte attaqué, encore qu’il n’eût pas disposé de la copie de celui-ci, le recours introduit plus de soixante jours à partir de cette date est tardif. S’il ne peut être exigé d’un requérant potentiel qu’il s’enquière à tout moment de l’état d’avancement d’une procédure administrative, il ne peut davantage être admis qu’il diffère pour un temps indéterminé la prise de connaissance de l’acte qu’il souhaite éventuellement attaquer et qu’il retarde ainsi arbitrairement cette prise de connaissance » (C.E., arrêt n°246.045 du 8 novembre 2019, GRANT).

La prudence est donc de rigueur…

Outre le respect du délai de soixante jours, le recours en annulation ne sera recevable que pour autant que l’on ait un intérêt suffisant à agir.

En vertu de l’article 19 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, tout requérant qui introduit un recours en annulation doit justifier d’un intérêt à agir, à savoir : il faut d’une part, que l’acte attaqué cause au requérant un inconvénient personnel, direct, certain, actuel, légitime et, d’autre part, que l’annulation lui procure un avantage personnel et direct, même minime.

En droit de l’urbanisme, l’intérêt à agir dans le chef des voisins qui désirent obtenir l’annulation d’un permis d’urbanisme est apprécié en fonction de l’impact que le permis d’urbanisme est susceptible d’avoir sur son cadre de vie.

La jurisprudence est fixée comme suit :

« Tout riverain a normalement intérêt au bon aménagement de son quartier, ce qui implique la possibilité de contester tout projet susceptible de modifier son environnement ou d’affecter son cadre de vie. Lorsque le requérant est domicilié à proximité immédiate de l’immeuble dont la construction est autorisée par le projet attaqué et qu’il est de nature à présenter des incidences sur le bon aménagement du quartier, ces seules circonstances suffisent à établir son intérêt à agir » (C.E., arrêt n°236.863 du 21 décembre 2016, VAN NUFFEL et GAILLY).

« En principe, un riverain a intérêt au bon aménagement de son quartier, ce qui implique la possibilité de contester tout projet susceptible de modifier son environnement ou d’affecter son cadre de vie, et ce malgré l’absence d’une vue directe sur le projet litigieux. Il en va d’autant plus ainsi lorsque le voisin proche a participé à l’enquête publique, même si cette participation ne suffit pas à établir l’intérêt requis. La notion de « riverain » ou de « voisin » doit s’apprécier à l’aune de différents critères, étant, notamment, la proximité, le contexte urbanistique et l’importance du projet en termes de nuisances ; en d’autres termes, l’intérêt doit s’apprécier au regard de l’incidence du projet sur le cadre de vie du requérant » (C.E., arrêt n°242.856 du 7 novembre 2018, GARZANITI).

Sauf circonstances particulières, le Conseil d’Etat considère donc qu’un riverain a intérêt à solliciter l’annulation d’un permis d’urbanisme lorsqu’il est de nature à affecter son quartier.